5 février 2013
Les « Cent vues d’Edo » (1856-1858), série à laquelle appartient l’œuvre présentée aujourd’hui sont les dernières œuvres d’Hiroshige, son dernier grand projet et la plus importante en nombre. La série commencée en 1856, s’interrompra à la mort de l’artiste en 1858.
Dans Le Temple Kinryûsan à Asakusa, Hiroshige représente l’entrée du temple le plus ancien d’Edo, appelé aujourd’hui Sensô-Ji. La légende raconte qu’en 628, sous le règne de l’impératrice Suiko (593-628), deux frères (Hamanari et Takenari Hinokuma) pêchant sur la rivière Sumida trouvèrent dans leur filet une statue de la déesse Kannon, la déesse de la compassion. Cette découverte parvint aux oreilles du seigneur du village (Haji no Nakamoto). A partir de ce jour, les deux hommes et le seigneur du village vouèrent leur vie à prêcher le bouddhisme et en l’an 645, un temple fut édifié pour accueillir la statue. Ieyasu (1543-1616), premier shogun Tokugawa, déclara l’ensemble protecteur de son clan ; en 1649, Iemitsu, 3e shogun de la même lignée, fit bâtir, à côté du Kinryûsan, un sanctuaire shintô (toujours figurée par une entrée monumentale : un torii) en hommage à ses trois hommes pieux. Ce lieu demeure aujourd’hui l’une des grandes attractions du quartier d’Asakusa, et de nombreux pèlerinages y sont organisés. Ce temple bouddhique est donc dédié à Kannon Bodhisattva.
On note un cadrage étonnant avec coupure de la porte d’entrée : la porte du Tonnerre qui est la principale voie d’accès au temple. On remarque aussi immédiatement des détails en gros plan comme la présence de la lanterne coupée asymétriquement avec inscrit le nom des donateurs, les planches en bois vert de la porte mais tous ces éléments constituent un cadre visuel grâce auquel le regard du spectateur est conduit vers l’arrière-plan. Les lignes structurent l’espace, rythment la composition et orientent le regard. Ce sont une partie de ces éléments que les artistes européens reproduiront dans leurs œuvres (influence des artistes occidentaux notamment référence à Degas et cadrage audacieux).
Cette asymétrie attire le regard, qui passe de l’allée enneigée (grande allée commerçante) à une autre porte la Niomon (la porte de la salle aux trésors) et à l’immense pagode à 5 étages au fond (rappel de la stupa indienne qui était un lieu de sépulture où se trouvaient les reliques). On ne voit pas directement le temple (Hondô) à proprement parler. Hiroshige a crée un fort contraste entre le paysage enneigé, feutré, immaculé et les couleurs vives de la porte et de l’immense lanterne. De l’ensemble se dégage une solennité évidente.
Les fidèles se dirigent vers le temple portant soit des ombrelles/parapluies ou des chapeaux pour se protéger de la neige tombant en gros flocons et sont représentés de plus en plus petits au fur et à mesure qu’ils s’approchent de la porte. Cette vue est caractéristique de l’art d’Hiroshige où le mouvement de la vie humaine répond au statisme du paysage.
Cette vue a probablement été commandée à Hiroshige pour capturer ce point de vue après que la pagode ait été restaurée à la suite d'un énorme tremblement de terre qui l'avait démolie un an plus tôt en 1855.