8 octobre 2013
L’œuvre présentée est une lithographie en quatre couleurs datant de 1893. Il s’agit d’une œuvre particulièrement intéressante dans la production d’estampe de Pierre Bonnard car c’est une des premières lithographies publiée dans la revue L’Estampe originale de Claude Roger-Marx et André Matty (janvier-mars 1893). Cette œuvre a été tirée à cent exemplaires pour la 3e livraison de la revue.
Sont représentés dans cette oeuvre quelques membres de la famille de Pierre Bonnard : Andrée Terrasse, la sœur de l’artiste, Claude Terrasse avec leur fils Jean.
La mise en page de la composition est insolite, le cadrage de l’image est serré sur les trois personnages, en gros plan. Le sujet y apparaît comme le détail agrandi d’un ensemble. Ici, la lithographie est composée autour d’une diagonale ascendante partant du père, passant par l’enfant et la mère puis le fond. Cela donne de la profondeur et du dynamisme à l’image. Les personnages sont coupés audacieusement. La composition n’est pas sans rappeler le cadrage des photographies. Ce procédé donnant l’impression d’une vue instantanée est en réalité savamment composée. En cela, il s’inspire de l’art japonais. Bonnard commençait par délimiter précisément le format de son tableau, contrairement à ce qui a pu être dit, jamais Bonnard n’a re-découpé ensuite dessins ou tableaux. L’exploitation du « hors champ » en tronquant les personnages, permet de resserrer la composition laissant au spectateur le soin de continuer la lithographie par l’imagination et ouvrant ainsi la scène sur l’extérieur. Bonnard dira que « la composition c’est la clef de tout ».
On note une absence de perspective et de profondeur, tous les éléments sont représentés en aplat : vêtement, décor. Pourtant, le visage du père au premier plan vu de manière fragmentaire est un moyen aussi d’évoquer la succession de plans ainsi que la main de la mère et la végétation dans le bord gauche en haut, qui permettent au regard du spectateur de s’échapper et de donner de la profondeur à la scène. Sans ces éléments la composition serait déséquilibrée et complètement plate.
Cette composition permet également d’accentuer la relation qui existe entre ces personnages empreinte de douceur qui est notamment rendue par la proximité et les gestes pleins d’affection et de tendresse des protagonistes. Le grand front chauve du bébé et la grandeur et la forme exagérées du nez relevé des parents, donnent une qualité touchante, rendant le sujet encore plus tendre.
La couleur est ici un élément important qui participe à l’atmosphère de l’œuvre. Bonnard fait un emploi restreint de cette dernière avec un camaïeu de couleurs chaudes : vert, marron, orange, beige, blanc. Chaque couleur joue un rôle précis. Ces couleurs douces ne sont pas utilisées de manière neutre : elles donnent cette ambiance intime et tendre qui est parfaitement en cohérence avec le thème de la famille. Bonnard joue avec les contrastes en associant les couleurs. Il utilise celles-ci en larges aplats (application de la teinte de manière uniforme).
La lithographie est construite de lignes simples et facilement identifiables. L’essentiel est dit à travers quelques signes clefs. Les personnages sont réduits à leurs attributs les plus significatifs : simplicité extrême de la construction linéaire. Cette simplification du dessin et de la ligne avec utilisation de formes simples est une des leçons que Bonnard tire de l’affiche et dont l’efficacité impose la simplification des formes. L’arrière-plan est limité à un fond neutre, ce motif plat et vert avec quelques feuilles seulement.
Les effets de carreaux et damiers ainsi que les lignes serpentines rappellent la préoccupation décorative du moment. Les lignes dessinent des arabesques avec de nombreuses lignes courbes, sinueuses et serpentines : visages, plis des vêtements, cheveux, végétation. Les motifs géométriques de la robe de la mère deviennent un dessin abstrait plutôt qu’une pièce de vêtement. L’important pour Bonnard c’est le trait.